Lumières d'été et 200 000 fantômes

 

Le documentariste français Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse française) passe à la fiction avec un film poétique sur les fantômes de la tragédie d’Hiroshima.

Akihiro, réalisateur japonais, vient de Paris, où il vit, interviewer à Hiroshima des survivants de la bombe atomique. Profondément bouleversé par ces témoignages, il fait une pause et rencontre dans un parc une étrange jeune femme, Michiko. Petit à petit, il se laisse porter par la gaîté de Michiko et décide de la suivre pour un voyage improvisé à travers la ville, jusqu'à la mer.

En ces temps de nouvelles promesses d’une apocalypse nucléaire entre la Corée du Nord et des Etats-Unis, il est urgent et nécessaire de se rappeler que les premières victimes des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, le 6 et le 9 août 1945, étaient des civils japonais. Tombé amoureux de la ville martyre et de ses habitants, le documentariste français Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse allemande) tente par tous les moyens créatifs mis à sa disposition de nous faire ressentir la tragédie de ce crime contre l’humanité toujours justifié comme un mal nécessaire dans les livres d’histoire alors qu'il a principalement tué des femmes et des enfants. En 2007, il a signé un premier court métrage expérimental Nijuman no borei (200 000 Fantômes), présenté en avant-programme de Lumières d’été. Sur la musique sombre de Current 93 – le morceau en question s’intitule Larkspur and Lazarus - se succèdent des prises de vue photographiques sur presque un siècle du célèbre Ganbaku dôme. Ce Palais construit en 1914 par l’architecte tchèque Jan Letzel a été le seul bâtiment qui a résisté à la violence de l’explosion atomique. Il est devenu le Mémorial de la paix d’Hiroshima et évoque symboliquement le sort des habitants de la ville qui ont péri sous l'effet de la bombe et des radiations. Un court-métrage impressionnant qui nous rappelle la fragilité des constructions humaines et que, si le temps passe, rien ne s'efface vraiment.

Le souvenir qui hante la mémoire collective, c’est aussi celui raconté par l’artiste japonaise Mamako Yoneyama, qui interprète une hibakusha (une survivante victime de la bombe atomique) en introduction de Lumières d’été, premier film de fiction de Jean-Gabriel Périot. On lui pardonnera le dispositif un peu « forcé » de l'interview-confession qui dissipe le mystère : le spectateur a plusieurs trains d’avance sur notre héros qui ne comprend pas la « nature » de la jeune femme qui surgit opportunément au bord de la rivière Ota. Si le jeu des acteurs amateurs est parfois un peu maladroit, une vraie grâce affleure au fil de la balade, surtout quand le récit quitte la ville pour le bord de mer, dévoilant un autre Hiroshima que celui de la ville industrielle qui a survécu à l’holocauste nucléaire. Le temps d’une chanson mélancolique, Jean-Gabriel Périot parvient à nous faire comprendre que c’est le beau et pâle sourire de Michiko que « Little Boy » a brûlé et irradié le 6 août 1945. Apaisé d’avoir transmis le message à la jeune génération, le fantôme peut reprendre son chemin et trouver enfin la paix.

 

Yannick Vely
Paris Match
15 août 2017